Tu es partie et depuis je sens l’amertume
infinie d’avoir tu tant de choses pour toi,
d’avoir tu en martyr cette douce tendresse
que j’ai cachée comme les roses peuvent se cacher,
et de ne pas t’avoir confié les mots exquis
que ma bouche abritait, délicats et soumis,
ces mots dont si souvent j’ai attendu qu’ils vibrent
au lieu de se glacer dans un cruel sourire.
Tu es partie et je sens cette douleur vive
d’avoir fait taire, en mon martyre volontaire,
le trésor de douceur en fleur dans mon amour…
Pourtant je sais que si un jour tu revenais,
en cherchant vainement les paroles perdues
l’amertume cachée rendrait muettes mes lèvres.
Pablo Neruda
Tu es partie et depuis je sens l’amertume
21 juillet 1919
Les cahiers de Temuco (1919-1920)
Le Temps des cerises. 2003