Nous décomptons souvent ce qui nous reste à souffrir. C’est la source de notre malheur. La perspective des heures à endurer est plus lourde que le fardeau lui-même. Les vieux maîtres de la tradition Zu Ch’an, ancêtre des doctrines zen, enseignaient au contraire l’art de la parfaite momentanéité. Ils travaillaient à se saisir de l’instant comme on attrape un papillon dans un filet de soie. Le secret est de s’extraire de la glue de la durée. Pour éprouver toute l’intensité du moment, il ne faut plus le rapporter à l’expérience du passé ou à l’espoir de l’avenir. En refusant de mesurer la vie avec la toise du temps qui passe, on captera l’énergie de l’immédiat. Krishnamurti, héritier du Zu Ch’an, professait que “le présent est la seule porte de la réalité”. Il invitait à la pousser et appelait adéquacité cette faculté à goûter totalement les circonstances du moment. Le penseur Daisetz Teitaro Suzuki écrivait en écho que “l’infini est dans le fini de chaque instant”. La révolution n’est donc pas pour demain dans les rues insurgées, mais elle est permanente, en soi, ici et maintenant. Hic et nunc, camarade !
Sylvain Tesson
Éloge de l’énergie vagabonde
Pocket.2009