Rivière

Des jours entiers passaient, et plus tard leurs années,
alors que je ne pensais qu’à mon obscurité
à la dérive comme un pont contre le ciel.
Jour après jour j’ai rêveusement cherché sa mélancolie,
ses recherches, ses douces rives m’ont enveloppé,
et sur mon cou s’allongeant mon baiser
murmurait comme une blessure. Ma vie même
devint l’inhalation de ses contemplations herbues
et parfois à la lumière du soleil mes yeux,
entourés d’eau, devinaient le chemin
du large. Car c’est là que je me sentais porté.
Puis pendant quelque temps mes bras, plus forts,
lançaient des cris sur la crête feuillue de l’air
pareils aux moutons d’écume, et la foudre, vive comme la douleur,
me traversait dans sa course vers la forêt,
et je retombais sur cette tendresse brutale
qui me transportait, qui me tenait comme un esclave
dans ses distances liquides d’yeux, et qui, un jour,
bien que pleurant mes caresses, allait m’abandonner,
moment d’air infiniment salé ! le soleil palpitant
comme un signal ! sur la chair ouverte du monde.

 

Frank O’Hara
Méditations dans l’urgence
Ed Grove Press 1957 / joca Seria 2011

ann2

Photo: Ann Cantat-Corsini

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s