[ L’Argentière]
Je grimpai dans un autocar où une vingtaine d’écoliers s’agitaient. Assis au fond, je les regardais se lever, crier, se tirer les cheveux, tandis que d’autres observaient le paysage. Un garçon lisait. Je souris. C’était moi, il y a dix ans. Le petit qui passait son temps le nez dans les livres pendant que les autres jouaient.
Les portes du bus s’ouvrirent sur Vallouise. Je traversais un pont sous lequel coulait une rivière bruyante. Je me dirigeais vers le café d’un hôtel, où l’on réagit étrangement à ma question.
« Brazès ? s’exclama le grand gaillard qui tenait le bar.
– Qu’est-ce que vous lui voulez ? me demanda un client ?
– C’est…c’est un ami, je lui rends visite. »
Ils éclatèrent de rire. Le serveur me lança que c’était bien la première fois qu’on entendait dire que ce gars avait un ami. Puis ils m’expliquèrent comment arriver jusqu’à sa maison, située plus loin dans la vallée. Quand je sortis, je sentis leurs regards intrigués dans mon dos.
Le bitume avançait parmi les mélèzes au couleurs de trésor. En d’autres circonstances, ce décor m’aurait peut-être apaisé. Je traversai un hameau, zigzaguait entre poules et enfants. Je poursuivis mon chemin sur environ deux kilomètres et aperçus enfin ce petit chalet posé sur une pente, au pied d’un rocher. Il semblait avoir été catapulté hors du village. En m’approchant, je découvris une rampe d’accès qui descendait de la porte jusqu’au potager. Un gros chien vont à ma rencontre en avançant prudemment. Ses oreilles pointues et son poitrail élancé lui donnaient un air grotesque. Nous nous jaugeâmes un instant puis il se mît à gémir en jetant des coups de têtes vers le cabanon comme s’il demandait des renforts. C’est alors qu’un individu en fauteuil roulant sorti du chalet en hurlant « Raspoutine ! ».Le chien répondit par un aboiement. L’homme me cria de là où il était, avec un accent prononcé que j’eus eu du mal à identifier.
« Qu’est-ce-que vous voulez ? »
…
Aurélien Manya
Avec le feu
Gallimard/ Coll. L’Arpenteur. 2018