…
gloire,
gloire

à tout
ce qui vit sur la terre !

On en perd le souffle !
Et puis il y a moi.
Je passe doucement,
énorme,
malhabile.
O, comme je suis somptueux,
vêtu de la plus rayonnante
de mes âmes innombrables !

Je dépasse tous ces gens qui me saluent
avec un air de fête, et
– coeur maudit,
ne cogne pas comme ça ! –
la voilà
qui vient à ma rencontre.

“Bonjour, aimée !”

Je couvre de caresses chaque cheveu
bouclé,
tout doré,
O, quels vents,
de quel sud,
ont produit un tel miracle sur ce coeur enfoui ?
Tes yeux se couvrent de fleurs
comme deux prairies !
J’y fais la cabriole,
gamin joyeux.

Et à l’alentour !
Des rires.
Des drapeaux.
Cent couleurs.
Je passe.
Des milliers d’êtres
cabrés.
On court
en tout sens.
Dans chaque jeune homme, il y a la poudrière d’un Marinetti,
dans chaque vieillard la sagesse de Hugo.

Les lèvres manquent pour ce sourire aux cent visages.
Sortez tous
de vos maisons
sur les places !
Dehors
comme des ballons d’argent,
de capitale en capitale,
lançons la gaieté,
le rire
le tintement !

On ne sait plus
si c’est l’air,
une fleur,
ou un oiseau !
Ca chante,
ça embaume,
et c’est de toutes les couleurs
Mais ça allume
les visages comme des feux dans la forêt;
ça enivre la raison du plus doux des vins.
Et les hommes ne sont pas seuls
à afficher l’efflorescence
de leur face joyeuse,
les bêtes ont frisé coquettement leur toison,
les mers,
hier déchaînées,
sont couchées à nos pieds,
ronronnant.

C’est à ne pas croire
qu’ils voguaient,
éructant la mort.
Dans leurs cales
qui ont pour toujours oublié la poudre,
les cuirassés
transportent vers des ports paisibles
des tas de babioles aux vives couleurs

(…)

MAÏAKOVSKI
Poèmes 1913-1917
La guerre et le monde. 5° partie. 1916
Ed L’Harmattan

* Le titre est une parodie militante de celui du roman de Tolstoï La Guerre et la paix.
Avant la réforme de l’orthographe de 1918 le même mot « mir » signifiait à la fois la paix et le monde avec une graphie différente du i.