Danser

Et nous mourions là, depuis des siècles toujours renouvelés,
A quelques mètres de l’endroit où nous étions nés,
Dans cette odeur étouffante de sueur humaine.
Nos corps alors flottaient sur le Gange puis disparaissaient dans les nœuds du fleuve.
Je suis née sans pitié
Et mon corps, à son tour, aurait dû couler doucement dans les eaux du Gange,
Mais j’étais belle.
J’étais belle et je savais danser.

 

Danser.
Personne ne m’a appris.
J’ai observé les serpents qui ondulaient entre les jambes de nos mendiants.
Personne ne m’a appris.
J’ai observé  les singes qui s’enroulaient dans nos nuits.
Je dansais,
Sans savoir,
Je dansais.
Et les hommes se pressaient autour de moi.
Une foule compacte aux yeux écarquillés.
Je ne voyais plus rien.
Mon corps se coulait dans la musique.
Je tenais les hommes.
Je les sentais fascinés.
Les dessins que mes chevilles et mes poignets faisaient dans les airs les laissaient bouche bée.
J’étais belle.
J’aurais pu n’être que ceci :
Une mendiante qui danse,
Une pestiférée plus jolie que les autres.
Mais la danse m’a sauvée.
La rumeur était qu’une fille du Gange faisait pleurer les chiens des bas quartiers lorsqu’elle dansait.
Les hommes du temple sacré vinrent me chercher,
malgré la puanteur du quartier.
Ils m’enlèvent aux miens
Et m’emmènent au temple.
Je me souviens.

 

Laurent Gaudé
Médée Kali
Ed Actes Suds -Babel. mai 2019

 

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« MÉDÉE KALI » de Laurent Gaudé par la CIE KAMMA
L’ARTCHIPEL SCÈNE NATIONALE DE GUADELOUPE / Janvier 2015

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