Attelé à sa seconde pile [de dossiers] le lendemain, le commissaire sentait un léger trouble bourdonner en lui comme un insecte coincé dans son corps, qui vrombissait entre ses épaules et son ventre. Une impression assez familière. Rien à voir avec les malaises qui avaient érinté lors de la remontée du juge en torpille. Non, juste ce modeste insecte bruissant, un petit rien qui se cognait de-ci de-là comme une contrariété boudeuse exigeant son attention. De temps à autre, il ressortait sa fiche cartonnée, sur laquelle il avait ajouté les astuces de Mordent quant à la meilleure manière d’irriter les fantômes. Et il la parcourait, les yeux dans le beurre, comme avait dit le barman de l’Ecluse.
Un léger mal de tête le propulsa vers la machine à café vers cinq heures. Bien, se dit Adamsberg en frottant son front, je tiens l’insecte par les deux ailes. Cette cuite de la nuit du 26 octobre. Ce n’tait pas la cuite qui bourdonnait, mais bien ces deux heures et demi d’oubli. La question revenait, vibrante. Qu’est-ce qu’il avait bien pu fabriquer durant tout ce temps sur le sentier de portage ? Et que pouvait lui importer ce minuscule fragment de vie échappé ? Il avait classé ce brin manquant au rayon de la mémoire poreuse, pour cause d’imbibition alcoolique. Mais, de toute évidence, ce rangement ne satisfaisait pas son esprit et le brin manquant ne cessait de sauter hors de son rayon pour venir le harceler discrètement.
Fred Vargas
Sous les vents de Neptune
Editions J’ai Lu. 2008